Communication animale

Que signifient les mots "communication animale" pour vous? L'étude des moyens par lesquels les animaux communiquent ou bien une nouvelle mode reposant sur l'idée de télépathie?

Depuis quelques temps, une nouvelle pratique liée aux animaux domestiques, commence à se répandre, sous le nom de « communication animale ». En biologie, lorsque l’on étudie la « communication animale », c’est pour analyser la façon dont les animaux communiquent entre eux. Inventorier et comprendre les signaux qu’ils utilisent pour faire passer différents types de messages, et les réponses qu’ils engendrent. C’est une branche de l’éthologie, développée à l’origine par Konrad Lorenz, Nikos Tinbergen ou Karl Von Frish (tous trois récompensés par un prix Nobel en leur temps), qui est l’étude des comportements animaux.

Mais ici, il n’est question d’aucune science. Il est question de voyance. Les personnes qui pratiquent la « communication animale », en effet, s’auto-persuadent, ou tentent en tous cas de persuader leur entourage, que les animaux leur « parlent » par télépathie et qu’une « ouverture d’esprit » particulière leur permet de capter ces messages de la pensée (y compris quand les animaux en question sont morts). Ils s’attribuent ainsi le pouvoir magique de lire les pensées d'autrui. Généralement, ils proposent leurs services pour aider à résoudre une dysfonction dans une relation maître-animal, mais aussi de « voir par les yeux » des animaux perdus, et ainsi savoir dans quelle situation ils se trouvent et les récupérer. Bien sûr, ils monnaient leurs services (mais s’ils ne le font pas, cela ne change pas grand-chose sur le fond - un boniment gratuit est toujours un boniment).

A quel type de besoin répond cette pratique ?

Vivre avec un animal est parfois compliqué. On pense que ce sera simple, intuitif, et puis on se rend compte que l'animal ne se comporte pas comme l'avait planifié. Il abîme le mobilier, il n'est pas si affectueux, ou au contraire il est hyper pot-de-colle, il fait pipi à un endroit pas prévu pour ou il manifeste des signes d'anxiété, il fugue, il est gravement malade... Quelque-chose ne va pas, et en bon maître responsable, l'humain veut améliorer la situation, que ce soit pour son bien-être, celui de son mobilier ou celui de son animal. Parfois les trois ensemble. Mais qui consulter ? Le vétérinaire est cher, et on l'imagine spécialisé dans les problèmes de santé, pas de comportement. Parfois, on a déjà essayé, et ça n'a pas fonctionné. En dehors de ça ? On a bien entendu parler des « psys pour chien », mais on ne sait pas trop ce que c'est, ni quelle est leur formation. Alors pourquoi pas cette personne dont tout le monde semble dire du bien, qui dit qu'elle peut communiquer avec les animaux ? C'est un genre de psy aussi, peut-être, et en tous cas les gens ont l'air content, on ne perd rien à essayer. Et puis le vétérinaire n'avait pas trouvé la solution, de toute façon, et le traitement qu'il avait proposé de mettre en place était long, fastidieux, et n'était pas sûr de marcher. Pas sûr pour pas sûr, qu'est-ce que ça change ?
Eh bien ça change tout. Le besoin est là, mais ce n'est pas parce qu'il y a un besoin que toutes les solutions se valent.

Comment ça marche ?


« Votre chat fait pipi partout ? Il m’a dit que c’est parce que vous n’assumez pas votre lesbianisme, ça le perturbe. » (admirons le recours à la psychanalyse, pseudo-médecine dont les résultats ne sont pas scientifiquement reconnus) « Votre chien s’est coupé et ça saigne beaucoup ? C’est parce que vous êtes perturbée en ce moment. Il y a quelque-chose qui vous perturbe, n’est-ce pas ? » « Vous devez vendre votre perroquet, vous ne serez jamais assez bien pour lui, vous êtes trop tendu. » (tous ces exemples sont inspirés de remarques réelles).
Les ficelles sont exactement les mêmes que pour tout type de « voyance ». Un peu d'observation, un peu de psychologie, un peu d’effet Barnum (formules assez vagues pour s’appliquer à tous : qui n’est jamais « tendu », ou « perturbé » ?), un peu d'écoute et d'attention. Rien que d'être écouté avec attention, sans le stress de l'heure qui tourne, comme dans une consultation de vétérinaire, avec le sentiment que l'ensemble de la situation est pris en compte, y compris les problèmes du maître, et ça va déjà mieux. C'est une partie de ce que l'on appelle l'effet placebo. On se sent mieux d'avoir fait quelque-chose.

De bonne foi ou non, le pratiquant use de manipulation. Il peut en avoir conscience ou croire totalement en sa propre « magie ». En pratique, les animaux communiquent entre eux, et avec nous, en échangeant des signaux visuels, auditifs, olfactifs, tactiles. Un éthologue qui étudie une espèce va réaliser ce que l'on appelle un « éthogramme », c'est à dire la liste de tous les comportements que l'animal réalise, et parmi eux il sera possible d'analyser lesquels sont servent à la communication. Naturellement, si l'on a l'habitude d'un animal, qu'on l'a côtoyé longtemps, on peut avoir intégré une partie de ces signaux et leur signification, et ainsi avoir une compréhension consciente ou intuitive. L'intuition est une façon de travailler habituelle de notre cerveau : ayant intégré un certain nombre d'informations, elles sont traitées en dehors du champ de la conscience et le résultat de cette analyse semble "sortir de nulle part". Par exemple, on regarde plusieurs articles dans un magasin et « on sait » qu'il y a une arnaque quelque part, et on choisit en conséquence. Si l'on analyse objectivement tous les éléments, trouver l'arnaque prendra quelques minutes, alors qu'il avait fallu quelques secondes à peine pour « la sentir ». En fait, c'est simplement que le cerveau a déjà fait les mêmes calculs, mais en dehors du champ de la conscience, très rapidement. Cela ne veut pas dire que l'intuition est forcément juste, car c'est toujours notre bon vieux cerveau qui fonctionne : s'il est capable de se tromper quand on réfléchit consciemment, il est aussi capable de se tromper intuitivement. Et surtout, il ne travaille qu'à partir de ce qu'on lui donne. Or, on ne contrôle pas la quantité d'informations qu'il va traiter « inconsciemment ». L'éthologue qui construit un éthogramme contrôle très exactement la quantité de données à traiter, et c'est une quantité énorme, qui repose sur des heures, parfois une vie entière d'observations et d'analyses studieuses.
Revenons à nos praticiens de la « communication animale ». Leur intuition peut, en fonction de l'expérience qu'ils ont avec une espèce, faire venir dans leur esprit quantité d'idées qui semblent « venues de nulle part », et qu'ils interpréteront comme « venues de l'animal ». En réalité, elles viennent bel et bien de leur propre cerveau. S'ils ont une très bonne connaissance des espèces avec lesquelles ils travaillent, ils peuvent avec un peu de chance « viser juste », comme une personne ayant une bonne pratique de la nature humaine peut parfois se faire passer pour un psy et rendre service. Mais si la connaissance n'est pas là, alors le cerveau humain va combler les vides avec ce qu'il connaît : le comportement d'autres espèces, et surtout le comportement humain. D'où une très grande tendance à l'anthropomorphisme : on projette sur l'animal des façons de penser humaines, qui plaisent beaucoup car elles sont faciles à comprendre et... intuitives. Le problème, c'est qu'elles sont généralement complètement à côté de la plaque. Voire complètement loufoques. Et que ça peut « marcher » avec n'importe quel support de projection : un animal, une poupée, un caillou, la photo d'un animal mort... Et si on tombe « juste », c'est par hasard.

La voyance, le secret (en Suisse), ont toujours eu beaucoup de succès, comme toutes les formes de « magie « au long de l’histoire, et il serait vain d’imaginer que la science et la raison les aient chassés des chaumières à notre époque. La pratique de la « communication animale » se place dans la droite ligne des « magies campagnardes » et des pratiques de voyance et communication avec l'au-delà qui ont eu cours de tout temps, éventuellement saupoudré d'un peu de modernisme loufoque quand le charlatan prétend « manipuler les ondes de son cerveau » pour entrer en communication télépathique, par exemple. Aussi improbable que soit le discours, qui repose sur des connaissances très faibles du fonctionnement du cerveau, de nombreux propriétaires se laissent tenter, pour avoir le sentiment de n'avoir laissé passer « aucune piste ». Et plus l'on est désespéré, plus cela fonctionne.

Quel est le problème ?


Soyons logiques : si les animaux étaient capables de communiquer par la pensée, ils le feraient entre eux. Ils n'auraient pas eu besoin de mettre en place tous ces signaux complexes et différents entre chaque espèce que les éthologues ont patiemment inventoriés. S'ils pouvaient communiquer à distance par télépathie, nous l'aurions observé. Les individus sauraient ce que pensent les autres membres de leur groupe social et cela influerait leurs comportements. Ils se comprendraient entre espèces différentes sans problèmes. Or cela n'est pas le cas. Les animaux utilisent des signaux de communication physiques : postures, sons, odeurs, gestes etc. Des animaux d’espèces différentes ont d’autant plus de difficulté à communiquer qu’ils sont différents. Konrad Lorenz avait par exemple observé, lors d’un combat entre un dindon et un paon mâles, que l’un des oiseaux, se sentant perdant, utilisait une posture de soumission spécifique de son espèce pour mettre fin au combat. L’autre, ne comprenant rien à cette simagrée, a continué à l’attaquer et sans interruption.

La télépathie n’a jamais été observé depuis bientôt un siècle qu'existent l'éthologie et les autres sciences, et les vies entières que des scientifiques ont passées à observer des animaux, y compris humains. Jamais, malgré les études réalisées sur le sujet en toute bonne foi (notamment par le laboratoire de zététique à l’université de Nice, et malgré une récompense de 200 000€ offerte pour toute preuve de phénomène paranormal), elle n’a pu être mise en évidence. Lorsqu’il semble que deux individus échangent des pensées, c’est simplement que l’observateur n’a pas été en mesure de détecter le signal physique qu’ils se sont transmis (geste, son, posture, mydriase, odeur…). Un exemple bien connu illustrant la difficulté d’identifier certains signaux est celui de Hans le malin. Hans était un cheval dont le maître affirmait qu’il pouvait réaliser des calculs et donner le résultat en tapant du pied. Sa renommée fut vite établie et personne ne pouvait le prendre en défaut. Que son maître soit là ou pas, Hans donnait le bon résultat. Mais il n’était pas bon en maths, et ne réalisait en réalité aucun calcul. Il était en revanche extrêmement bon observateur. Le pot aux roses, auquel même le maître de Hans s’était laissé prendre, fut découvert lorsqu’on demanda au cheval de réaliser un calcul en présence d’une personne ignorant le résultat. Le cheval fut incapable de donner le bon chiffre : il observait les infimes et involontaires hochements de tête de l’assistance qui comptait les coups de sabot jusqu’au chiffre juste. L’humain était incapable de se rendre compte qu’il donnait lui-même la réponse au cheval à son corps défendant ! Et le cheval était infiniment plus fin observateur que tous les humains qui l’avaient étudié.

La télépathie n’existe donc pas, mais le besoin, tant de l'animal que de son maître, existe. Il est légitime de vouloir tout mettre de son côté pour trouver une solution, mais pas de raconter n’importe quoi en exploitant la faiblesse des gens, ou leur ignorance. En prenant la piste de l’anthropocentrisme, imaginant que son animal pense comme lui et qu'il suffirait de se « brancher sur sa fréquence » pour en avoir une compréhension totale, le maître est à la merci de toute manipulation : les pensées qui émergent dans le cerveau humain « branché sur la bonne fréquence » seraient forcément « les bonnes », et cette « intuition », juste. Et pour cause, impossible de vérifier quoi que ce soit... La supercherie peut durer indéfiniment.

On pourrait considérer qu’à la limite, tant que cela ne touche que l’humain qui en fait la demande, chacun est libre de ses choix et de ses dépenses et peut consulter les voyants et thérapeutes « bien-être » qu’il souhaite. Mais là où le bât blesse avec la « communication animale », c’est que des animaux sont impliqués. Le maître, se souciant réellement de son animal, et voyant une personne s’impliquer dans un lien avec lui, se donne bonne conscience, a l’impression de se donner les moyens de résoudre un problème par une méthode novatrice et pleine de bienveillance, qui ne sous-estime pas les capacités de son animal. Mais ce faisant, il risque de perdre un temps précieux pour résoudre son problème, voire passer complètement à côté d’une vraie solution, une vraie possibilité de compréhension.

Car les animaux communiquent, oui, et ils se donnent parfois beaucoup de mal, quand ils vivent avec nous, pour communiquer avec nous. Mais ils le font avec les méthodes et les moyens de leur propre espèce. Et leurs problématiques sont celles de leur espèce. Votre chat n’a que faire de votre orientation sexuelle et des soucis que cela peut éventuellement vous poser. Vraiment. Il vous accepte comme vous êtes, avec vos contradictions si vous en avez, car lui a des problèmes de chat, qui ne sont pas et ne seront jamais les vôtres. Vous n’avez pas le pouvoir magique de faire saigner votre chien parce que vous avez eu une rupture amoureuse et s’il a de l’empathie pour vous, l’animal le manifestera différemment, probablement par les mêmes moyens qu’il utilisera pour manifester son empathie à ses congénères. Et même si votre « praticien » vous parle de problèmes propres à votre cheval, en dehors de votre personne (par exemple des soucis avec ses congénères de pré), comment pourrait-il le savoir sans avoir passé le temps nécessaire à l'observation de ces animaux dans leur environnement ? Comprendre les animaux, cela passe par des heures d'observation, seul chemin vers une vraie compréhension de leur manière de communiquer.

La solution existe... Mais elle est plus longue et n'a rien de « magique »


Si le praticien a une bonne expérience de l'espèce qu'il pratique, il peut parvenir à des conclusions intéressantes, car il sera peut-être capable d’interpréter correctement des signaux qui avaient échappé au propriétaire. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas s'adresser directement à une personne formée pour cela, en plusieurs années d'études, et qui ne prétend à aucune magie ? Il existe des professionnels dont le métier est de comprendre les animaux, en tant qu’animaux (et non en tant que substituts d’humains, ou en tant que support de projection), avec leurs signaux propres, et de résoudre leurs problèmes propres. Les éthologues, ou comportementalistes, ont suivi des années de formation universitaire, et ont des milliers d’heures d’observation et d’analyse objectives derrière eux.
Car il ne suffit pas « d’ouverture d’esprit » ou de « troisième œil » pour comprendre les animaux. Il faut les observer objectivement. Les laisser nous montrer comment ils communiquent entre eux pour faire le parallèle avec la façon dont ils communiquent avec nous. Et ça n’est pas intuitif. Cela nécessite d’être intellectualisé, analysé, les hypothèses remises en cause, car les autres espèces ne pensent et ne communiquent pas comme nous. On ne trouve pas la réponse en soi, par « magie », il faut la tester et accepter de se tromper. Ou de ne pas savoir.
C'est peut-être cela le plus difficile, le plus traumatisant, et la source du succès des charlatans : ils auront presque toujours une réponse à donner. Même si c'est « votre animal ne veut pas revenir vers vous » quand il est perdu. L'éthologue, parfois, comme le vétérinaire, ne saura pas, et préfèrera le dire plutôt que d'inventer n'importe quoi. Même si c'est dur.

Alors oui, il est certain qu’en lisant ceci, un bon nombre d’usager complètement outrés pensent déjà « oui, mais chez moi, ça a marché ! » « oui mais moi je connais une personne qui a vraiment un don », ou « et si certaines personnes avaient vraiment un don? » comme le font tous les utilisateurs de pseudo-sciences et de « magie ». Mais s'il était une seule phrase à retenir, c'est celle d'Henri Broch, le fondateur de la zététique, cette science qui étudie les phénomènes « magiques » et « paranormaux » : « Le droit au rêve impose le devoir de vigilance ».
Ce n'est pas le nombre de « témoins » qui compte, car ces témoins sont surtout les satisfaits. On en trouvera toujours des centaines pour dire que « oui, lire dans le marc de café/les nuages, ça marche ! », parce que, même en dehors de l’effet Barnun, même le plus absurde diseur de bonne aventure peut tomber juste de temps en temps, par simple coïncidence et s'il a des milliers de clients, cela fera des centaines de témoins satisfaits. Mais lorsque l’on fait la mesure objective de ce qui marche et ne marche pas, on se rend compte que les discours au hasard ont la même probabilité de se réaliser que les discours des voyants et autres tourneurs de tables. Car cela a été testé, notamment pour l’astrologie, et bien d'autres divinations et pseudo-médecines. Jamais aucune divination, quelle qu'elle soit, n'a montré la moindre preuve formelle et objective de son efficacité. La télépathie n'existe pas plus que les licornes. Mais encore une fois, chacun est libre de faire appel au charlatan de son choix (par contre, honte sur les charlatans qui manipulent en connaissance de cause), tant que ça n’implique que lui. Ici, il est question d’animaux qui ont parfois de vrais problèmes, et qui méritent l’attention d’une personne qui les connaît réellement, pas d’un auto-proclamé spécialiste en « communication animale » qui s’octroiera le pouvoir magique de comprendre même des espèces qu’il n’a jamais vues, ou de soigner à distance via photo en inventant, consciemment ou non, ce qu'il lui plaira.
La télépathie n'existe pas, mais partir à la découverte objective et scientifique de ce continent inconnu qu'est le comportement d'une autre espèce que la nôtre est un voyage initiatique, difficile certes, triste parfois, mais toujours merveilleux et largement plus « magique ».

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