Grenouille satellite
Même si la date officielle n'est pas encore tout à fait là, les premières fleurs sont sorties, c'est le printemps! Et dans les mares, de curieuses masses gélatineuses ont fait leur apparition...
Elles apparaissent dès les premiers beaux jours, parfois sans même attendre que l'eau ait complètement dégelé après des derniers frimas de février. De gros tas de gelée parsemés de petits points noirs... Non, des points noirs ou bruns, parfois bicolores, chacun enfermé dans une bille de gelée. Le tout formant une masse vaguement ronde : une ponte de grenouille! Les pontes de crapauds sont faciles à différencier : elles ont la forme de longs chapelets ou de colliers.
Les grenouilles rousses et agiles sont les premières à s'y mettre. La nuit, les mâles rejoignent la mare en premier et, du fond de l'eau (les grenouilles peuvent rester longtemps sans respirer d'air par leurs poumons, elles absorbent aussi l'oxygène dissout dans l'eau par la peau, même dans l'eau), commencent à chanter. C'est un chant très doux, produit en gonflant le sac vocal sous la gorge, mais il s'entend de loin et toutes les femelles séduites peuvent à leur tour se jeter à l'eau pour rejoindre les chanteurs selon la qualité de leur chant. Mais... Attention, même si le chant est utilisé comme critère de choix par les femelles, tous les mâles ne chantent pas. Les mâles plus petits, qui n'arrivent pas à défendre de territoire, disposent d'une autre stratégie. Ils se postent en périphérie de la zone de reproduction et se taisent. Ce sont les mâles "satellites".
Quand une femelle passe, le mâle peut tenter de l'attraper et grimper sur son dos, c'est un "amplexus" (les grenouilles ne s'accouplent pas au sens strict, il n'y a pas de pénétration possible, leurs organes reproducteurs n'étant qu'internes) forcé. Parfois, on trouve même plusieurs mâles sur une femelle, qui arrivent à plusieurs à féconder la ponte (le mâle arrose de sperme les oeufs quand ils sortent, comme chez les poissons - d'ailleurs chez certaines espèce comme la grenouille rousse, les petits mâles satellites vont juste arroser les pontes de sperme après coup, sans se fatiguer d'un amplexus).
L'intérêt pour le mâle "parasite" est évident : éviter d'attirer tous les prédateurs du coin par son chant (notamment le putois qui consomme beaucoup de grenouilles agiles) et arriver à avoir une descendance même s'il n'a pas la carrure de tenir tête aux mâles les plus costauds, souvent plus vieux. Mais pour la femelle? Ces amplexus forcés sont coûteux, bien entendu : non seulement elle ne choisit pas forcément le père de ses oeufs, mais en plus, multiplier les amplexus c'est la porte ouverte à toutes les MST. Sans parler du fait que ces mâles peuvent la blesser ou pire (dans la photo ci-dessous, ce sont des crapauds communs, et non des grenouilles, qui se livrent à un amplexus multiple).
Malgré tout, il semble que dans un environnement instable, il soit judicieux pour une femelle d'avoir plusieurs partenaires, pour maximiser les chances d'adaptation de sa descendance. En effet, les populations de grenouille agile sont souvent plus homogènes génétiquement qu'on l'attendrait. Ne pas "mettre tous ses oeufs dans le même panier" pourrait être une stratégie payante pour la diversité génétique, et donc les chances de survie de descendance des femelles... Paur autant que la mare contienne assez d'eau pour permettre le développement des tétards, ce qui semble compromis, ici, s'il ne pleut pas rapidement. Le comblement des mares de forêt et la destruction de leur habitat est la première menace qui pèse sur les grenouilles, bien devant les menaces des prédateurs.